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Bœufs japonais radioactifs : un expert nucléaire accuse « la pluie noire »
Arnie Gundersen, expert nucléaire étatsunien, suit avec régularité la situation au Japon. Depuis le début de la catastrophe, il nous fait part de ses analyses et de ses questionnements par l’intermédiaire de vidéos qu’il diffuse sur le site de Fairewinds. Ses commentaires sont toujours pertinents, et ils sont précieux car c’est l’un des rares scientifiques au monde qui s’exprime sur la catastrophe de Fukushima Daiichi. C’est pourquoi il est important de donner aux francophones la traduction de ses propos, car aucun scientifique de son envergure ne s’exprime en France sur ce sujet. Il est vrai que l’Hexagone est encore plus nucléarisé que le Japon et qu’il ne serait pas de bon ton de parler de pluie noire, ce qui ternirait l’image de cette énergie « propre ». Cette « black rain » est aussi une pluie « chaude », radioactive, qui contamine faune, flore et humanité pour des dizaines d’années.
Cette vidéo a été éditée par Fairewinds Associates le 19 juillet 2011 sous le titre original « Ex Japanese Nuclear Regulator Blames Radioactive Animal Feed on "Black Rain” ». On peut la visionner sur le site de Fairewinds, ou sur Youtube avec un sous-titrage automatique (qui présente certains défauts de transcription).
Un ex-inspecteur nucléaire attribue l’origine des fourrages radioactifs à la "pluie noire"
Traduction P. Fetet, à partir du texte original édité par Fairewinds
http://fairewinds.com/content/x-japanese-nuclear-regulator-blames-radioactive-animal-feed-black-rain
« Bonjour, je suis Arnie Gundersen, de Fairewinds, et nous sommes le mardi 19 juillet.
Aujourd'hui, j'ai l'intention de parler de l’état des réacteurs à Fukushima, et plus important encore, de la radioactivité qui a été détectée à travers le Japon, pas seulement sur le site. Enfin, j’aimerais parler de ce que les Japonais commencent à appeler « Black Rain » (pluie noire).
La première chose est la situation actuelle site même. Les trois réacteurs de Fukushima qui sont en cause, 1, 2 et 3, et la piscine de combustible du réacteur 4 continuent à libérer de la radioactivité.Actuellement, vous ne pouvez pas la voir dans la journée, car les jours sont chauds, mais vous pouvez la voir durant la nuit. J'ai reçu énormément de courriels à ce sujet, où les gens pensent que le site est en train de sauter. En fait, c’est de la vapeur sortant de ces réacteurs qui rencontre l'air froid du Pacifique.
Alors, ils continuent à libérer de la radioactivité. Mais la plupart du rayonnement de Fukushima a été produit en mars et en avril. A l’heure actuelle, il y a beaucoup moins de radioactivité quotidiennement qu'il n'y en avait en mars et avril. Environ 90 à 95% de la radioactivité de Fukushima a été libérée dans les 6 premières semaines de l'accident.
Alors que des radiations continuent à être relâchées, en quantité journalière, il n'y en a plus autant qu'avant. Mais d’un autre côté, Fukushima peut continuer à libérer de la radioactivité pendant une longue période.
Les Japonais ont programmé de construire de grandes tentes pour couvrir chacun de ces réacteurs. La première tente est en cours de fabrication et couvrira le réacteur 1, puis ils passeront au réacteur 2, puis au réacteur 3, et enfin au réacteur 4. Ces tentes sont conçues pour empêcher la vapeur de sortir et de la recueillir sous forme d’eau pour la traiter. Donc à partir de septembre, la plupart des radiations atmosphériques seront éliminées de Fukushima, au moins pour un réacteur.Cependant, de plus en plus, cela débouchera sur la contamination de l'eau souterraine et des liquides qui sont sur le site. On ne peut rien prévoir dans l’avenir qui permettrait d'éliminer cette contamination.
En fait, les Japonais ont annoncé qu'il faudra 10 ans avant qu'ils ne commencent à démanteler les cœurs à partir du bas de l'enceinte. Il n'y a pas de technologie en ce moment pour les enlever. N'oubliez pas qu'ils ont fondu à travers le réacteur nucléaire et ils se sont répandus à la base de l’enceinte nucléaire.
A Three Mile Island, ils avaient fondu au fond de la cuve du réacteur, mais n’avaient pas traversé le réacteur. Donc, c'est tout nouveau. C'est un peu comme essayer de peler un œuf au fond d'une poêle à frire. S’il cuit trop longtemps, c'est un processus très, très compliqué et difficile. Et c'est ce à quoi nous sommes confrontés à Fukushima, un nettoyage à long terme. Alors en attendant, il y aura énormément de déchets radioactifs liquides qui devront être traités pendant 10 ou peut-être 20 ans.
Eh bien, dans mon esprit, la chose la plus préoccupante est l'information provenant du site dernièrement. Certains de mes amis sont des biologistes qui ont travaillé à Tchernobyl et qui se sont rendus au Japon pour y faire quelques travaux scientifiques. Ils ont bien vu que les choses allaient mal tourner. J'ai reçu un appel de leur part cette semaine et ils ont dit que la situation était très mauvaise. A vrai dire ce sont des scientifiques endurcis qui sont habitués à traiter avec la radioactivité et ils croient que les conditions à Fukushima sont bien pires que ce qu'ils avaient pensé.
Il existe des preuves qui confirment cela. La première est que des champignons qui se trouvent à 30-40 miles des réacteurs se sont révélés être contaminés bien au-delà de ce que les normes japonaises le permettent. Ce qui est intéressant est que ces champignons n’ont pas été cultivés à l’extérieur. Alors, comment est-ce possible de dépasser les normes de rayonnement pour des champignons cultivés en intérieur ? C’est une préoccupation majeure, et encore, ce n’est qu’à 35 miles de la centrale accidentée.
La deuxième preuve, c'est que des bovins ont été contaminés dans toute la préfecture de Fukushima et au-delà. La semaine dernière, ça a commencé avec 8 vaches contaminées, puis c'est passé à 40 vaches et maintenant il s’agit de plus de 130 vaches qui sont contaminées, et je suis sûr que le nombre va augmenter avec le temps.Maintenant il y a quelques éléments intéressants ici. Le premier est que les vaches étaient à 30-40 miles de la centrale et que leurs niveaux de césium vont bien au-delà de ce qui est déjà toléré pour la consommation humaine. Quand les vaches sont arrivées sur le marché, les Japonais n'ont pas goûté la viande, ils ont frotté la peau de l’animal pour voir s’il n'y avait aucune contamination. Et sur cette base, ils l'ont mise sur le marché. C'est seulement après cela que l'on a découvert que la viande était contaminée. Ce n'est pas une façon acceptable de contrôler la viande de bœuf.
Mais la question la plus importante ici est de savoir comment les vaches ont été contaminées alors que tout le monde pensait qu'elles étaient nourries avec de l’ensilage, en d'autres termes, le foin qui avait été sauvegardé d'avant l'accident ?
Il s'avère que les Japonais utilisent les tiges de riz pour nourrir leurs vaches. Et les agriculteurs, à 45 miles et au-delà, coupaient leur tiges de riz pour l’expédier vers les fermes qui étaient à l'intérieur de la préfecture de Fukushima. La paille a été contaminée à 500 000 désintégrations par seconde, dans un kilogramme de paille. Maintenant, il s’agit de césium. Il a une demi-vie de 30 ans. Mais au bout de 30 ans, il se désintégrera à 250 000 désintégrations par seconde. Et 30 ans plus tard, à 125 000 désintégrations par seconde. C'est ce que ce terme de « demi-vie » signifie.
Cela s'est produit à 45 miles. Rappelez-vous, la Nuclear Regulatory Commission avait suggéré l'évacuation au-delà de 50 miles. Cela semble indiquer que la NRC avait raison. Les Japonais auraient dû évacuer leur population au-delà de 50 miles et à la place de cela, ils se sont contentés d’évacuer jusqu’à environ 12-18 miles.
Cette contamination s’est ensuite propagée au-delà de la préfecture de Fukushima. Pourtant, la préfecture elle-même semble être le seul endroit pour lequel les Japonais sont inquiets au sujet de cette exposition à la radioactivité.
La dernière chose dont je voudrais vous parler aujourd'hui, c'est ce qui arrive en dehors des 50 miles dont nous venons de parler. Il est déjà assez clair, sur la base de la radioactivité qui a été découverte dans la paille, que le rayonnement, même à 50 miles, est aussi élevé qu’il l’était dans certaines régions de Tchernobyl.
Eh bien, que dire de plus ? Jetons un œil sur Tokyo qui me préoccupe aussi. Tout d'abord, les stations d'épuration à Tokyo ont leurs boues contaminées. Normalement, cette matière est utilisé dans la construction de matériaux de construction. Mais elle est tellement radioactive qu'elle doit être stockée à l'extérieur sous des bâches, jusqu'à ce que quelqu'un trouve un moyen de s’en débarrasser.
La deuxième chose, c’est un rapport de laboratoire qu’un japonais m'a envoyé. Cette personne a pris sur ses propres deniers pour payer un laboratoire afin d’analyser les données sur une rue près d'un terrain de jeux à Tokyo.
Voici le rapport du laboratoire. Il montre qu'il y a 53 000 désintégrations par seconde dans un kilogramme, à partir de 2,2 kilos de matière prélevée sur le côté d'une rue près d'un terrain de jeux à Tokyo.
Cette personne était si préoccupée qu'elle est allé à la mairie de cette ville et le maire lui a répondu : je ne suis pas inquiet à ce sujet. Voici un citoyen qui, avec son propre argent, paye pour un rapport de laboratoire et ne peut rien obtenir de son gouvernement local.
Eh bien, il y a d’autres données. C’est celles que l’on obtient du National Cancer Center, hôpital également près de Tokyo. Ca a été publié sur leur site web quelques jours après l'accident. Le rapport montre que le 24 mars, soit 9 jours après l'accident, le fond radioactif en dehors de l'hôpital a été 30 fois plus élevé que le fond radioactif à l'intérieur de l'hôpital. Il y avait un dépôt de particules chaudes sur le sol. Et il était assez important pour augmenter la quantité de rayonnement que les détecteurs ont évalué à un facteur 30. A vrai dire, un hôpital national du cancer sait clairement comment mesurer le rayonnement, car ce sont des scientifiques expérimentés.
La dernière information que je veux partager avec vous provient d’un rapport que je reçois quotidiennement par courriel d'un éminent physicien japonais nommé le Dr Glen Saji. Il était secrétaire de la Commission de réglementation nucléaire au Japon. Il a écrit il y a deux jours ce qui suit, et cela a à voir avec la paille qui a été découverte près de Fukushima : « Je pense qu'ils ont dû stocker la paille dans un champ au moment du passage du panache, au cours de la première semaine de l'accident, en particulier à cause de la pluie noire ».
A vrai dire, « black rain » n'est pas un terme dont je sois sûr qu'il utilise à la légère. Mais cela a été clairement expérimenté au Japon après l'accident. Ce à quoi il fait référence est qu’il y a eu des nuages de particules radioactives chaudes qui se sont déposées partout dans le nord du Japon.
Eh bien, les Japonais sont des gens débrouillards, comme en témoigne leur victoire en Coupe du monde ce dimanche. Mais ils ont besoin de connaître l'ampleur du problème auquel ils font face afin de le traiter correctement. Plutôt que de limiter l'information, il est important qu'ils limitent la radioactivité.
Je vous remercie beaucoup et à bientôt. »
Note :
Merci à Pom’Verte, Bernie, Idrissa et Hervé du groupe Facebook « Fukushima informations » pour m’avoir aidé à finaliser la traduction ! N’hésitez pas à rejoindre ce groupe convivial qui partage une somme considérable d’informations sur Fukushima, mais aussi sur le nucléaire en général.
Autre traduction d’Arnie Gundersen :
Interview édité le 3 juin
Tags : radioactive, fukushima, reacteur, japonais, mile
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